imaRge s'associe avec ses partenaires isséens pour participer, proposer et créer des évènements   


  l'atelier Terre-Ecoute

                                 le lundi jusqu'au 7 juillet 2025,

  l'atelier Arts Plastiques-Ecoute à l'Espace Jeunes

                                 le mercredi jusqu'au 9 juillet 2025,

   l'atelier avec les jeunes de la classe UPE2A à l'ASTI

                                 le vendredi jusqu'à mi-juin.

  l'atelier avec les mamans à l'ASTI

   le vendredi jusqu'à fin juin

      Les ateliers reprendront courant septembre 2025

Pour plus d'info nous joindre

Exposition à l'Espace Jeunes
 en juin 2024

Atelier 
avec le CMP 
"Construction en Argile"

 Nouvel atelier 
Famille-Ecoute 
à l'Espace Jeunes
mercredi 13h 14h

« être, faire, créer, se créer ..." 
tel était le thème de la quinzaine d'imaRgeorganisée du 
16 au 30 janvier 2019 à l’Espace Andrée Chedid d’Issy-les-Moulineaux.  

quinzaine d'imaRge


une table ronde, une exposition, un film, des débats... 
lire les textes des interventions
 
-Docteur Daniel Barache, psychiatre, président d'imaRge, "parcours et réflexions".
-Isabelle Palacin, psychanalyste, "réflexions sur la phénoménologie et la psychanalyse".

-Stéfany Brancaz, art-thérapeute, "réflexions sur son travail".

-Agnès de Montrond, céramiste, "réflexions sur son expérience".






Les textes

Table ronde du jeudi 17 janvier 2019 de 9h30 à 12h30


Un parcours. je le raconte parce que, sinon, je ne serais pas ici ce matin à parler d’imaRge.
mercredi 30/01, en clôture de la quinzaine et de l’expo, sera projeté le film « Solstices, les enfants de la parole ». c’est comme ça que ça commence.
je vous invite à nous retrouver au cocktail de fin d’expo à 18h et à la projection-débat qui aura lieu à 19.30.


1974 je suis en lozère, un espace de nature préservé sauvage et violent où les hommes sont, entre autre, des agriculteurs qui prennent soin de cette nature. celle-ci y est forte, ainsi les paysages, l’espace, les éléments (la terre, l’eau, l’air, le soleil ardent, la sècheresse, les incendies, le feu pour lutter contre le froid,), le climat montagnard et méditerranéen, les saisons contrastées, les orages violents, les rivières qui sortent de leur lit, coupent les routes, entrainent tout, choses et gens…


1975, je rencontre Bernard Durey, psychanalyste de terrain, qui présente son projet « Solstices »: une institution organisée autour de l’enfant ou du jeune à soigner, la pyramide hiérarchique est inversée. c’est la personne qui « demande » des soins qui occupe le sommet de cette pyramide. comme dans l’organisation holacratique (voir plus bas).
La psychothérapie institutionnelle « si on soigne l’institution, celle-ci sera soignante pour les patients », née en Lozère, à l’hôpital de Saint Alban, avec F.Tosquelles, à partir de 1940, avait déjà ce soucis d’être centré sur la raison d’être de l’hôpital psychiatrique, les patients hospitalisés…comme c’est très explicitement le projet de solstices.
ces lieux de soin se trouvent aux sources du Lot, au nord du mont lozère, dans des hameaux « sauvages » et isolés, des écoles désaffectées…
le projet de « SOLSTICES » est de soigner, prioritairement, des enfants psychotiques et autistes.
les enfants sont accueillis dans des vraies familles d’éducateurs.


le centre du projet est de:
1-procurer à l’enfant un environnement familial, stable, cohérent, vivre ensemble une vie d’homme, de femme, de père, de mère, d’enfant, être présents les uns aux autres...
christiane bécret nous en parlera le 30 janvier.
2-permettre à cet enfant de revivre des scènes archaïques au cours de bains thérapeutiques, des scènes familiales dans cet environnement qui éveille des émotions plutôt que des souvenirs.
Nous avons en tête le modèle de 3 scènes, une scène originelle, une scène répétitive, et une scène résolutive...
Nous pensons, qu’à l’origine de ces graves troubles de la personnalité (qui vont au troubles du caractère et du comportement à l’autisme, en passant par les psychoses, les personnalités abandonniques, les états limites, troubles du caractères et du comportement, des conduites à risque…) il y a des défaillances graves plus ou moins repérables et durables de l’environnement, ainsi que des scènes plus repérables et limitées dans le temps , des scènes se sont inscrites sous forme de traces, d’empreintes, et n’ont pas donner lieu à des images, des pensées, des lettres et des mots, des représentations (voir isabelle) que nous appelons « scènes originelles».

L’historicité de ces scènes n’ est pas établie. Ce qui est établi, c’est que, avec François Tosquelles, « nous
prenons constamment appui sur le sol de l'enfance, c'est de là que nous avançons avec le plus de certitude. ».
et ces scènes supposées ou réelles ne cessent de se présentifier dans la vie subjective de l’enfant.
dans un 1er temps, il faut que l’entourage soit attentif pour repérer les « scènes répétitives »…
Les situations de la vie familiale, scolaire, locale ne manquent pas de reproduire ces scènes évoquant la scène originelle qui font réagir l’enfant.
C’est surtout avec les thérapeutes de première ligne que vont se présentifier ces
scènes, qui ressemblent à des répétitions et s’en distinguent par certaines qualités de tonalité affective, de poésie, de source de plaisir esthétique du fait d’un phénomène de transformation, que nous appelons « scènes résolutives »….
Dans tous les cas, l’ambiance d’enfance, de jeu, de plaisir, d’invention, de création, de rêverie, de poésie me semble essentielle:
- pour le thérapeute qui se met dans cet état d’esprit léger, d’enfance, de jeu, de gaité, de poète qui se joue des mots en même temps qu’il en joue …
- pour l’enfant enfermé dans sa forteresse autistique, dilué dans la fusion avec sa mère, barré dans une lecture du monde déréel, révolté, sans espoir…

Jacques (1), 14 ans, accueilli chez Marie et Pierre, est considéré comme autiste, avec un langage et une vie intellectuelle développée (il a appris à lire seul dans l’annuaire, écrire sans faute d’orthographe, chanter et jouer juste d’un instrument de musique…) sans but relationnel.
Je dirais que c’est« l’objet autistique » de sa grand mère paternelle. Lui, « l’objet », est habité de la vie de sa grand mère, de ses parents, de son entourage, qu’il se raconte en écho .
Au début de son séjour, il s’approprie la vie de la famille d’accueil, mange dans l’assiette de marie comme si c’était la sienne, construit un réseau de routes, de lignes de files de fer autour de la maison, parcours le village, entre dans toutes les maisons comme chez lui, apprend le nom de tous les villageois. Son « lieu psychique » est alors tout le village prolongé par la route qui mène au territoire familial, à Montpellier…

Jacques va, peu à peu, faire de son corps  contenu dans l’enveloppe corporelle le lieu de son identité, devenir le sujet du cahier livre qu’il fabrique à l’école du service, de ses ouvrages agricoles, de bâtiment…
de présentation en présentation, il arrive à un représentation de lui même, spatiale, topographique d’abord, visuelle puis idéique et verbale…


Christian, 13 ans (1) est accueilli chez Josée et Robert. Il a un certain niveau scolaire, sait lire, écrire, compter, faire toutes les opérations, un niveau technique aussi… Il vit dans un monde imaginaire, on peut dire délirant, qui laisse de la place à des relations presque normale avec l’entourage. Il a des territoires lui aussi, qui contiennent des objets, une cabane dans le jardin, chez ses parents, reliée à la maison principale par un ligne électrique, un stock de matériel électrique récupéré, des cannes anglaises, des plans et schémas divers…la tonalité affective est l’inquiétude liée à la décrépitude de la cabane, la précarité de la ligne électrique
qui l’alimente en énergie vitale (?), sa position de fusible entre les deux pôles opposés que constituent ses parents, le courant alternatif qui n ‘arrête pas d’alterner, l’intérêt du courant triphasé, plus fiable.
Nous, thérapeutes, partageons une première image: Christian, fruit du commerce sexuel de son père et d’une cabine d’ascenseur, qui illustre le rejet par sa mère, son absence, la relation étroite avec son père, technicien-ascensoriste, qui utilise le même langage pour parler des sentiments et des ascenseurs. Sans partager explicitement cette image avec Christian, celle-ci nous aide à penser Christian et sa famille…

Christian fatigue la mère de la famille d’accueil qui se sent utilisée. « Il est comme un robot ménager qui se branche sur moi quand il en a besoin, me prend de l’ énergie et ne me témoigne aucune reconnaissance». Par de nombreux entretiens hebdomadaires avec Christian, des réunions mensuelles du groupe d’accompagnement,
bimestrielles avec les parents, tout et tout le monde a évolué. la grand mère omnipotente a relaché son emprise. le père et le fils se sont décollés et humanisés en même temps que la mère retrouvait sa place de mère et d’épouse… et Christian a investi ses motivation et ses acquisitions techniques dans des études de mécanique en CFA…
Encore le récit abrégé de Bertrand, raconté par bernard durey dans le film.

Bertrand., 9 ans, ne quitte pas le père d’accueil et, quand il ne peut être avec lui, reste dans la cabine de sa camionnette qui peut devenir sa chambre, dans laquelle il peut dormir…

Ceci est l’extrémité du fil de l’histoire qui a mal commencé ou pas commencé du tout avec sa mère.
Ces deux récits illustrent la communion avec la nature, les objets, la mise en jeu du corps, le vécu partagé, les phénomènes de présentation dans les deux sens du mot « ça se présente au présent », les représentations qui leur font suite. Nous, accompagnateurs, avons construit ces représentations, puis nous les avons présenté en 1988 au « Cours international sur les techniques de soins en psychiatrie de secteur » de Lyon-Villeurbanne.


À l’époque, les concepts de la phénoménologie, l’être là, l’être avec, dont nous reparlera Isabelle sont présents. Nous faisons de la phénoménologie sans le savoir.


1985 « CHIMENE ». J’arrive à « Chimène » avec et du fait de mon expérience des familles d’accueil. J’avais, bien sûr, le modèle « Solstices » en tête que j’ai transmis à petite dose à mes partenaires. Ainsi la grille de lecture des 3 scènes a-t-elle donné une autre tonalité, une autre couleur, aux séjours de post-cure des patients toxicomanes…
Ainsi avons-nous présenter une situation familiale, affective, semblable et différente de celle, irreprésentable parce que source de trop de souffrance, qui avait arrêté le développement, la construction de l’identité de nos patients…
Je suis aussi venu avec le modèle institutionnel de prise de décision au plus prés du patient , de prise en compte de chacun comme étant un sujet désirant qui a le dernier mot pour les décisions qui le concernent, lui et le patient dont il est responsable, qui concernent le groupe et l’institution dans laquelle il vit et travaille à la fois…

à travers un modèle de cogestion où les enjeux de bien-être ont pris le dessus sur les enjeux de pouvoir…
J’ignorais alors, que, de l’autre côté de l’atlantique, en 1967, était apparu le concept d’ « holarchie » qui se démarque de la hiérarchie. M. Gore, et d’autres, appliquent les mêmes principes, théorisés sous le nom d’ « holacratie », évolution horizontale, en cercle, centrée sur la raison d’être de son entreprise, la mise au point et la fabrication du textile « goretex ».
De même que le concept et la pratique de la « permaculture » née en australie en 1970, issue de l’agriculture naturelle pour devenir une « culture de la permanence » qui met un frein à la culture de la rentabilité.
La psychothérapie institutionnelle « si on soigne l’institution, celle-ci sera soignante pour les patients », née en Lozère, à l’hôpital de Saint Alban, avec F.Tosquelles, à partir de 1940, avait déjà ce soucis d’être centré sur la raison d’être de l’hôpital psychiatrique, les patients hospitalisés…comme c’est très explicitement le cas à solstices.
deux livres : Celui d'Hermann Simon (Hermann Simon, Aktivere Krankenbehandlung in der Irrenanstalt, c'est dans ce livre que l'on trouve la thèse qu'un établissement est un organisme malade qu'il faut constamment soigner) et la thèse de Jacques Lacan (Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité), dont il fait réaliser pendant la guerre des éditions clandestines par l'imprimerie du club des malades de l’hôpital.
J’avais aussi l’expérience du dessin des enfants en psychothérapie, d’ateliers inspirés d’Arno Stern avec des enfants, les miens et leurs amis.
A cette époque, la palette thérapeutique dont nous disposions à « chimène » étaient, des entretiens avec les psychologues-psychanalystes, des cures de sevrage dans les hôpitaux voisins, ou ambulatoires, des consultations de psychiatrie avec, souvent, prescription de psychotropes, puis de médicaments de substitution.
Face au risque de médicalisation et, parfois, au manque d’adhésion des patients aux entretiens avec les psychologues, la proposition d’atelier de création est apparue, et plus précisément l’idée de créer une association pour les gérer.
Ceci fut fait en juin 1994 dans un restaurant auvergnat, autour d’un aligot lozérien qui a réuni des psys, des travailleurs sociaux, des artistes, des amateurs d’arts et de pratiques artistiques…. et la nouvelle née fut baptisée « imaRge »…  Elle aura donc 25 ans en juin de cette année.


1996,« imaRge »
Les premiers ateliers ont lieu dans des locaux vétustes et à tout faire de la « maison des associations".
Ils sont marqués par l’ancrage dans le corps. Celui-ci se manifeste par le choix des formats (200x100) qui permet de représenter un humain debout, par les empreintes de pieds enduits de peinture sur un support déroulé au sol, selon un pas de danse sur différents rythmes…
Quelques ateliers ont lieu alors que ce local, dans lequel il peut pleuvoir, est désaffecté.
L’activité peut avoir pour but de canaliser l’écoulement de l’eau sur le toit. Nous sommes également (public et encadrants) responsables et concernés par cette maintenance de notre local, notre toit…
Seuls utilisateurs-occupants, devenus maîtres de tout l’espace, nous couvrons tous les murs d’immenses peintures comme on a rarement l’occasion de pouvoir en réaliser.
Ceci s’accompagne d’une dilatation de notre joie, de notre être.
A partir de 2001, nous entrons dans nos locaux actuels et rentrons à nouveau dans le rang auquel il nous oblige. L’espace est moins grand. L’expression des êtres n’est pas,
pour autant, obligée de rétrécir.

Séraphine, 12 ans à son arrivée dans l’atelier, très inhibée dans un groupe, dans une classe notamment, submergée par son émotion, très très timide, s’est apaisée dans le groupe de l’atelier de poterie, devant une boule d’argile, a représenté de belles voitures de sports, « tunées », aux formes rondes, pleines de « chevaux vapeurs », puis des chevaux, chiens, cochons d’inde rassurants, des fauves semi-rassurants, des araignées géantes (migales) inquiétantes… des humains mignons, « enrique iglesias, michaël jackson » et d’autres vedettes du « top 50 », maintenant « Venom », homme « vénéneux » habité par un monstre.
son 1er cobaye a eu son monument funéraire, le suivant a remporté le 2e prix de beauté.
ce parcours s’étale sur 6 ans, au fil de stages chez un carrossier, comme palfrenier, chez un toiletteur pour chien, permis de conduire…

Chacun de ces objets bénéfiques la protège, l’accompagne dans son avancée, sa croissance. Peut être que, plus sûre d’elle et de sa place, ne craint elle plus d’affronter, de montrer les monstres qui sont en elle.


Michaël, 6ans, russophone, très timide lui aussi, ne parle pas un mot de français après 2 ans d’école en France. Il est complètement à la dérive dans la classe. Il a peur de rester seul dans un bureau avec un adulte autre que sa mère. Par contre, il peut rester un certain temps à l’atelier sans sa mère, parmi d’autres enfants en modelant l’argile…ceci permet le début de quelque chose…


Joséphine, 66 ans, effondrée par son veuvage, voit resurgir ses mauvais génies qui lui disent qu’elle ne vaut rien, que c’est bien fait pour elle. C’est tout ce qu’elle mérite…
Elle fabrique des pots, des plats cabossés qui lui sortent des mains et qu’elle accueille assez bien, puis, progressivement, des pièces plus construites et équilibrées…en regrettant parfois les pièces cabossées qu’elle n’est plus du tout capable de faire. Elle reconstruit sa vie, la « refait » comme on dit… se réconcilie intérieurement avec les adultes qui ont perturbée la fabrique de son identité.


La pensée phénoménologique fait, explicitement, partie de notre palette conceptuelle depuis assez peu de temps.
Isabelle vous donnera des repères précis sur l’usage qu’elle en fait dans les ateliers où elle co-intervient avec stefany.
Cette pensée éclaire tout ce qui précède, la nature, la chair du monde, les éléments, les rêveries, lâcher prise, vivre ensemble, appartenir à un groupe,, mettre en œuvre, créer, côte à côte…
Agnès nous en donnera une traduction dans le travail de la terre.
Comme je l’ai dit plus haut, en lozère, nous étions déjà dans le bain phénoménologique.
Retournons-y retrouver J.Oury à saint-alban, avant qu’il échoue, en 1953, au château de La Borde à Courcheverny dans le loir et cher.
La phénoménologie arrive à saint alban par H. Maldiney, professeur de philosophie à Lyon, qui y envoit des stagiaires et J.Oury qui les accueillent…
H. Maldiney utilise le gros mot « transpassibilité » pour désigner le phénomène d’être passible d’être traversé comme « La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit, n’a souci d’elle-même…».
C’est l’opposé de l’impassibilité. C’est l’ouverture à l’inattendu, l’imprévisible, l’invisible, à la « chair du monde»…
Il me semble que c’est l’accueil en creux dont nous parlera tout à l’heure stefany, et l’être là d’isabelle.
J.Oury reformule ainsi cette passibilité: « Il y a des sentiers, et l’on entre dans la forêt. Il ne faut pas simplement suivre son chemin de campagne, mais entrer dans la forêt et découvrir l’inattendu. C’est une pensée typiquement tosquellesienne: ce qui est en jeu, c’est quelque chose qu’il faut frayer (fréquenter, tracer…) à travers le sous-bois. »
Voir aussi le film « Le sous bois des insensés, une traversée avec J.Oury » de Martine Deyres, (programmé à l’E A Chedid en décembre 2015)

Toujours de J.Oury, le petit signe échangé avec un patient psychotique fuyant, qu’il appellera un « semblant ». Ceci ne veut pas dire que c’est « pour de faux ». c’est de l’ordre du corps et de la chair dont nous parlons plus bas.
Le corps dans la phénoménologie: L’être ne trouve pas seulement son origine dans le biologique, les pulsions selon freud. L’être vient d’ailleurs. Il a une corporéité faite du bain sensible dans lequel il vit, grandit… bain sonore, olfactif, épidermique, gustatif, le tout intégré dans un ensemble sensoriel qui dépasse le sensoriel, quelque chose en plus, qui inclut des échanges entre l’environnement et l’être dans lesquels il n’y a pas
une frontière nette entre l’objet et son entourage. Il y a une perméabilité et une transformation réciproque de l’un par l’autre.
Pour Merleau-Ponty: La « chair » est la source d’un symbolisme naturel, d’une mythicité et d’un onirisme au travers desquels nos relations avec les choses et les autres sont vécues. En effet, percevoir, penser, être-au-monde sont le fait d’une présence, pour la phénoménologie, qui antécède le langage. L’ouverture à l’être n’est pas linguistique.
Isabelle vous dira plus précisément l’articulation entre « l’être » et le « sujet ».
Le « corps propre », lieu de rencontre, dans les « enveloppements humides » (« Introduction au maternage », Y. Racine, Editions du Scarabée, (C.E.M.E.A.), (1972) mis en oeuvres par Y. Racine qui succède à F. Tosquelles à Saint Alban,, de 1963 à 1972, ainsi que dans les « bains thérapeutiques » initiés par B.Durey à « Solstices » de 1974 à 1984 et dont nous parlera élisabeth rey le 30/01.


La création artistique
je laisse isabelle vous parler de la « joie » de M.Proust « Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse, ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ?…Le miracle d’une analogie me faisait échapper au présent. Seul, il avait le pouvoir de me rendre « le temps perdu », ce à quoi ma mémoire et mon intelligence avaient échoués. »
Il s’agit d’autre chose que la mémoire. C’est la présence, la présentation, la présentification, l’être là, le dasein de perceptions qui concernent tous les sens, de sensations, un vaste champ d’émotions dont les limites sont floues.
La jubilation de l’artiste peintre qui est modifié par le sujet de sa peinture.
Ainsi, Paul Cézanne qui regarde la montagne sainte victoire, Puis, c’est la sainte victoire qui le regarde. Il se laisse traverser par elle.. Objet et sujet deviennent perméables l’un à l’autre. Le peintre communie avec la chair du monde. Il perçoit l’invisible.
Une oeuvre d’art est vivante si elle est « habitée » par le monde invisible.
H.Maldiney nous dit aussi que le vide est lumineux, c’est à dire que le vide n’est pas le néant. On peut dire, avec lui, que l’invisible n’est pas vide, que la lumière existe pour celui qui se rend passible de la voir.
Pour S.Dali, la gare de perpignan était le centre du monde, pour cézanne la montagne sainte victoire, peut être… Pour moi, c’est le mont lozère, où une culture de la permanence est possible, à laquelle je reviens en citant F.Tosquelles, ancien membre du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), « psychiste », «humeuriste », « enfantiste », « surréaliste » ambivalent vis à vis de l’autre catalan surréaliste, qui savait
être sérieux et faire rire son auditoire et ses patients. « Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c'est l'homme même qui disparaît… »
La « folie » est une valeur humaine, une dimension de l’identité de tous, fous et normaux, malades et thérapeutes, artistes et comptables (mieux tolérée chez les artistes et les psys). Cultivons là. Faisons en sorte qu’elle soit créative. ceci peut paraitre loin de la pratique psycho-socio-éducative de certains. c’est le fondement, rendu invisible par les constructions de la vie en société. c’est fondamental et tout le temps présent.


Docteur Daniel Barache, pédopsychiatre, président d'imaRge




imaRge la phénoménologie et la psychanalyse

 

Quand j’ai rencontré l’association imaRge, j’étais et je suis toujours psychanalyste libérale, et je cherchais à diversifier ma pratique avec un travail d’équipe. La démarche d’imaRge m’a tout de suite intéressée. D’une part parce qu’elle permet le contact avec des populations qui ne viendraient pas forcément en cabinet : jeunes, migrants etc. D’autre part parce qu’il s’agit non pas de travailler individuellement au sein d’une équipe mais de travailler en tandem au sein d’un dispositif original lui-même intégré au sein d’autres institutions. Ce qui peut nous rapprocher des approches institutionnelles dont nous parlaient Daniel.

Au sein des ateliers, le principe d’imaRge qui consiste à proposer une double possibilité d’expression, verbale et artistique, est autre chose que de proposer une thérapie à médiation comme je peux parfois la pratiquer avec mes patients en individuel. Il ne s’agit pas seulement de fournir une feuille et des crayons pour tenter de mettre en forme et en image ce qui peine à se dire en mots, il s’agit de soutenir et d’aider ce mouvement : faire en sorte que la pensée, l’émotion, le ressenti s’expriment, certes mais prennent aussi forme, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est le sens de la présence de l’artiste plasticienne qui en plus est art-thérapeute ou de la potière avec le psychiatre ou la psychanalyste. En donnant la possibilité de travailler à partir d’une technique donnée, la perspective même du travail change. Le geste créatif devient central et s’articule autour de deux catégories appartenant à la Daseinanalyse issue de la phénoménologie telle qu’elle naît dans la philosophie de Martin Heidegger : Dasein ou et Mitsein.

-   Corporéité et Dasein. Qu’est-ce que le Dasein et pourquoi ça nous intéresse, nous à imaRge ? Le Dasein, c’est l’Etre-là, Être étant, en train d’être, avec sa façon particulière d’être. Au-delà du langage, nous offrons avec les crayons ou les pinceaux, la terre ou tout autre médium, une possibilité d’une part de se confronter à la matérialité, d’autre part, de faire une expérience... un mot qui d’un point de vue étymologique évoque la traversée de frontières, d’épreuves, une aventure déjà... L’aventure de l’être-là, présent dans la main qui modèle, ou qui tient le crayon, disponible dès lors à ce qui vient de soi, disponible à ce que la matière induit en soi, vient éveiller, peut-être, comme émotions, souvenirs, associations.

 On le voit bien avec certains jeunes migrants : le seul fait de leur proposer de dessiner, les renvoie d’emblée à l’école. Reviviscence d’une position d’enfant pour des adolescents qui, au cours de leur voyage, parfois terrible, et depuis leur arrivée, ont dû faire face à des situations qui les ont propulsés dans des situations d’adultes où les questions de vie, de mort, de survie, ne sont pas un jeu. Se trouver ainsi, devant la feuille de papier, souvent juste (c’est leur demande), à recopier des photographies ou des images, crée comme un appel d’air, un appel à se souvenir. Comme la sensation de la madeleine trempée dans la tisane déroule pour Proust une chaîne associative de souvenirs vécus, cette sensation ouvre pour ces jeunes, la possibilité de faire réapparaître des scènes du pays, de l’école, et de les parler, de les partager avec nous. Comme si la sensation devenait un point de nouage psyché/soma, c’est-à-dire un point dans la matérialité du corps, du vécu, déclenchant en quelque sorte une activité psychique réflexive, de la pensée, de l’élaboration.

-    

-   Le Mitsein. Être -avec. Pour que cette capacité à être là puisse s’expérimenter, le dispositif particulier d’imaRge est nécessaire, qui ouvre aussi la possibilité de ré expérimenter la tranquillité de l’enfant occupé à produire du jeu ou du dessin, d’être seul mais en présence de l’autre, tout entier à sa tâche, au plus près dit Winnicott de son sentiment d’exister, l’authenticité dont parle Heidegger. Dans son ouvrage "de La Pédiatrie à la Psychanalyse" Winnicott décrit, dans un texte fameux, le jeu d’un bébé avec la spatule, l’abaisse-langue, du médecin. Il décrit trois stades :

1°) L’enfant porte la main à la spatule, mais découvre à ce moment-là tout à coup que la situation mérite réflexion. Il est embarrassé. Ou bien, la main sur la spatule et le corps immobile il me regarde et regarde sa mère avec de grands yeux, guette et attend (…)

2) Graduellement il devient assez brave pour laisser ses sentiments se développer et alors le tableau change (…). Dès que l’enfant accepte la réalité de son désir à l’égard de la spatule, un changement se manifeste à l’intérieur de sa bouche qui devient flasque, tandis que la langue paraît épaisse et moite et que la salive est abondante (a parte : ce que l’on peut, nous, observer chez certains des participants aux ateliers et marque alors la présence au travail en train de s’accomplir). L’attente et la tranquillité font place maintenant à la confiance en soi. (...)

3°) Il y a une troisième phase. A ce stade l’enfant fait d’abord tomber la spatule comme par erreur. Si on la lui tend, il la laisse à nouveau retomber, si on la lui tend à nouveau, il la fait tomber volontairement et jouit à fond avec agressivité de son plaisir de s’en débarrasser. (…) Cette troisième phase se termine lorsque l’enfant désire être mis par terre avec la spatule et là il recommence à la mettre à la bouche et à jouer avec ou bien, lorsqu’il en a assez essaie de prendre tout autre objet à sa portée. » « Ce qu’il y a de thérapeutique dans ce travail », dit Winnicott, « réside à mon avis dans le fait qu’on laisse le champ à tout le cours d’une expérience »

 

 

Ce qui est important ici, Winnicott le dit bien, c’est que l’expérience du bébé puisse avoir lieu à son rythme, jusqu’au bout. Que l’on aille au-devant du désir en lui donnant la spatule sans attendre qu’il la prenne ou qu’on la lui enlève avant qu’il ait mené l’expérience au bout et il y a empiètement, la séquence perd sa valeur d’expérience d’être-là. La valeur même du jeu ou de la création artistique. Or dans nos ateliers, le travail avec la matière, pensée comme un jeu et non comme une œuvre imposée, la possibilité ou pas de parler avec l’analyste, le cadre qui pourrait être vu comme une absence de cadre permet cela. Laisser le participant déployer son expérience singulière, sans qu’il n’y ai de projet pour lui, sans que notre désir par exemple de faire du beau, empiète sur son mode d’être-là.

 

Parfois cette ouverture, peut laisser émerger le souvenir d’un trauma, qui peut être aussi bien le traumatisme d’un environnement empiétant ou abandonnique, que l’émergence d’une violence impensable, la matière quelle qu’elle soit, comme la parole ou les manifestations corporelles dans les phases de régression dans une analyse, offre l’opportunité d ‘en faire quelque chose et Stéfany nous en parlera. Autrement dit, et l’on reprend là la célèbre phrase de Freud reprise par Lacan, « Là où Ça était, Je est advenu ». En faisant « Je » reprends la main, n’est plus agit par le trauma qui se répète, mais le transforme dans un travail de sublimation, dans une mise en forme/langage qui permet de le penser.

 

L’autre, ici nous les intervenants, accompagne, contient, soutient (au sens du holding c’est-à-dire au sens d’un portage psychique). La présence d’un autre permet que la chose ne se répète pas de la même façon dans la solitude de l’incommunicable, mais puisse s’inscrire dans un mouvement de ré appropriation. Ça se répète, mais autrement... Avec peut-être la possibilité d’arrêter le retour du même angoissant.

-   Le mit-sein. Nous en arrivons donc au mitisein. L’autre terme de la daseinanalyse, l’être avec, c’est que l’autre est en quelque sorte le point d’appui narcissique. En thérapie classique le dispositif (régularité des séances, permanence du cadre, acceptation du thérapeute de « prêter son appareil à penser », non jugement, accueil etc…) offre les conditions pour l’émergence de la parole. Dans les ateliers d’imaRge d’autres éléments s’ajoutent :  La fourniture des outils nécessaires à l’expression, et les techniques permettant de faciliter sa mise en œuvre, sa mise en forme. Ces deux éléments, portés par les intervenants, en position en quelque sorte d’autres secourables », viennent soutenir l’acte créatif qui, dès lors se trouve non seulement reconnu mais encouragé. Dans un entretien avec le documentariste Nicolas Philibert, Jean Oury, psychiatre, fondateur de La Borde, invite à être des « pontoniers » à créer des ponts, de passerelles qui formeraient l’avec, en insistant sur le fait et il cite Tosquelles, qu’il faut avoir en tête la notion « d’aseptie », c’est-à-dire en faisant le moins de mal possible, avec tact, aurait peut-être dit Ferenczi. En offrant la possibilité de, sans empiéter.

Un autre point me semble important : le regard et l’écoute. Pour celui qui se risque à produire/créer, ou qui se risque à dire à partir ou en marge de ce qu’il produit/crée, l’accueil de l’autre est primordial. Certes le fait que la création puisse être reconnue belle ou intéressante, apporte une satisfaction narcissique : si le motif que je dessine ou que je modèle plaît, quelque chose qui vient de moi peut être considéré par un autre comme beau ou intéressant. Pour des adolescents (donc des sujets en questionnement identitaire) en échec scolaire, ou qui sont essentiellement regardés à l’école, à la maison comme sources de problème, ou uniquement par le prisme du carnet scolaire plus ou moins satisfaisant, ce n’est déjà pas rien. On entend souvent d’ailleurs les participants, découragés d’avance, dire « C’est moche », « De toutes façons je ne sais pas... ». La question, d’ailleurs, que l’on se pose avec eux c’est « C’est quoi le beau ? », C’est vraiment important que ça soit beau ? » En effet, si l’impression de produire du beau rassure, en revanche quel sens aurait un atelier d’expression s’il l’on ne pouvait y produire que de « belles » choses ? Ce serait perdre le sens de notre démarche. Comme si en analyse on ne pouvait accepter la destructivité, la haine, la mélancolie, l’agressivité, l’insensé. L’analyse se viderait alors de son sens, de sa substance pour ne devenir, comme le souligne Jean-François Solal dans son ouvrage Et si psychanalyse est une histoire vraie, qu’une thérapie comme une autre, aseptisée, figée dans un trop d’empathie.

En atelier le moche, l’informe, la « patouille » ont leur place aussi. Ces mouvements-là sont souvent le passage obligé pour s’affranchir d’un certain idéal et s’ancrer dans l’authentique. Se mettre à faire des projections, des taches, prendre plaisir à ce geste renouant avec sa capacité de jouer, ouvre par exemple pour telle participante, une possibilité de création plus libre, plus près de soi, en sortant des recopiages/répétitions parfaites et mortifères à force d’être parfaites. Et l’on revient là à l’expérience de l’abaisse-langue que je vous ai conté tout à l’heure.

Dans ce contexte d’émergence d’une parole ou d’une production plus vraie, la fonction des expositions comme celle que nous présentons ici est alors de reconnaître qu’il y a eu œuvre, de reconnaître qu’il y a eu création, de porter une parole, un point de vue singulier, et repositionner par la même chaque participant en tant que sujet de son propre dire.


Isabelle Palacin, psychanalyste




En quoi ma formation d’art-thérapie a modifié mon regard et ma manière d’animer des ateliers pour imaRge ?

 

Depuis plus de 10 ans j’anime des ateliers auprès d’enfants et d’adolescents, dans l’idée qu’ils découvrent et pratiquent la création comme une ressource pour les aider à se construire. Qu’ils puissent à la fois s’appuyer sur les matériaux proposés et également sur mon vécu.

 

Je vais vous en présenter succinctement les éléments signifiants. Car je ne suis pas de ceux qu’on a depuis l’enfance vu un crayon à la main à dessiner par exemple. 

Au départ, moi, je ne faisais que « Regarder ». Voir et être entouré de « Beau » me touchait, m‘apaisait, me permettait d’être en lien avec le monde, … le monde extérieur, de sortir des affres de mon monde, de mon monde interne.

C’est plus tardivement que j’ai découvert les bienfaits de « Faire », de peindre, de créer. De ne plus être seul, mais bien au contraire « D’être là présente à moi" en présence d’un autre (extérieur), d’une autre la matière.

 

Cette expérience de la peindre s’est enrichie durant mon parcours de formation d’art-thérapeute durant près de 4 ans. J’ai pu à la fois y expérimenter des techniques et des matières classiques du champ des arts-plastiques au plus hétéroclites, y découvrir leurs différentes lois et différences de ressentis possibles pour chacun. En effet, ce qui peut être perçu comme dur/rigide pour quelqu’un peut paraitre trop mou pour son voisin par exemple.

 

Et j’ai alors pu y vivre un itinéraire singulier avec la matière « fil » de chercher à dépasser le temps de la rencontre, de l’expérimentation, ou de faire à la manière d’un artiste, mais de chercher chemin faisant ce que je cherchais à faire et à mettre à l’œuvre avec ce fil. Pour au final découvrir l’objet de ma recherche une fois le parcours terminé, le retracer et le nommer dans l’après-coup du faire.

Ce parcours et cette expérience c’est engramme en moi, tel la Lozère pour Daniel quand il utilise l’argile j’imagine.

Dès lors, je cerne mieux mes mouvements internes et potentiellement ceux des autres. Ce vécu est le fondement de ma présence en atelier, comme les théories de l’art-thérapie.

 

De plus la connaissance des étapes de constitution d’un Sujet m’aide à appréhender et à laisser advenir, sans attente, ce que les participants mettent possiblement à l’œuvre au sein des ateliers.

 

Et plus précisément la lecture de « Jeu & réalité » de D.W Winnicott, pédopsychiatre anglais dont Isabelle vient de nous parler, en formulant «la capacité d’être seul en présence de l’autre ».

Il n’est pas si aisé d’Être présent à soi, à ce qui est.

 

Mais alors que se joue-t-il au sein des ateliers imaRge ?

Dans ce cadre spécifique où une médiation plastique est proposée par un duo « d’écoutant » par la présence d’un psy (psychiatre ou psychanalyste selon les ateliers) et d’un plasticien.

 

Créer une « activité » qui met en jeu le corps… dans sa sensorialité, dans l’actualisation de souvenirs et potentiellement dans un mouvement réflexif, d’une prise de conscience de se voir en train de faire et de ce que cela peut produire comme sensations, émotions, images… associatives.

 

Pour ce faire le participant doit oser se mettre en position d’acteur, de questionner son désir, ça commence par l’envie d’être là, puis de vouloir faire quelque chose, de vivre l’aventure de la création et de ses méandres.

Parfois faire de toutes petites choses, des expériences, chercher à rendre plus épais un liquide, chercher une consistance, ou l’émergence d’une forme, de sa répétition, des tâtonnements, des arrêts ou recul…

 

Pour « Edgar » jeune homme de 18 ans qui explore les potentialités du stylo bille de manière bien singulière que vous pourrez voir dans l’autre salle. Il recherche d’aller au plus près de la matière, passant par la destruction de l’objet stylo pour la transformer en une matière qu’il utilise presque comme de la peinture en formant des aplats. Il nous dit que l’atelier l’aide à être plus calme, et lui permet d’éviter de frapper sa sœur.

 

Et une maman annonce attendre la fin de semaine pour de venir à l’atelier car tricoter lui fait oublier ses soucis et lui procure une pause, un moment pour elle, différent en présence de son enfant.  

 

Que ce se passe-t-il pour les participants dans les ateliers imaRge ?

 

De l’apaisement, une décharge pulsionnelle, une rencontre avec une matière, un groupe, d’être en présence d’adultes, d’être confronté aux lois propres de cette matière, de son désir d’en faire quelques choses… ou pas, de détruire, de transformer, de patouiller, d’étaler…

 

Winicott souligne que « ce n’est pas temps l’objet utilisé que l’utilisation de l’objet ».

C’est cette utilisation de l’objet « spatule » comme en parlait isabelle, qui va être source de mes observations, sans chercher à interpréter même si parfois demandé par certains participants.

 

Enfin quoi qu’il en soit, l’on ne peut jamais « savoir » ce qui ce passe pour l’autre, alors j’observe ce qui se passe pour moi, ceci comme potentiel pour le participant.

 

J’ai à l’esprit « R », un garçon qui utilise la peinture pour mettre à l’œuvre potentiellement des questions de non-différenciation, de séparation et d’angoisse de mort …

 

R est un garçon que nous accueillions avec Isabelle en atelier deux fois par mois. J’ai très clairement en mémoire notre rencontre il y à 6 mois, et particulièrement l’effet d’envahissement et d’étrangeté qu’il m’avait alors procuré. Il intégrait un petit groupe déjà constitué en présence de son éducatrice référente pour ce premier atelier.

Au delà de son surpoids il pèse déjà 75kg alors qu’il n’a que 9 ans, c’était plus sa logorrhée incessante, à la fois dans les propos et le fait qu’elle me semblait ne pas être adressé. J’étais totalement envahie par ce flot de parole. Isabelle pu accueillir et contenir ces mots alors que R s’initiait à la technique de la gravure sur polystyrène. Une juste articulation dans la co-animation.

 

R certainement dérouté par cette proposition, ne sachant pas quoi dessiner a tapoté / tamponné sur la matrice avec un outil pointu formant des creux, par petit geste testant sa force et la taille de l’empreinte alors formée. Il semblait ne pas chercher à tracer quelque chose de figuratif, donnait des petits coups sur la matrice tout en parlant. Il sembla plus s’intéressé à ce qu’il faisait au moment de l’encrage de la plaque avec la peinture de lino gravure marron. Et fût plutôt satisfait du rendu de l’impression.

Par contre je ne me souviens absolument plus de sa manière d’encrer, de presser et de décoller la feuille de la matrice. La technique de la gravure met à l’œuvre la trace, le collage, le transfert et le décollage … puis la surprise du résultat de cette séparation feuille/matrice. Mais je n’ai plus aucune image de cette mise à l’œuvre, comme si pour moi ça n’avait pas existé.  

 

Par la suite R a toujours voulu utiliser la gouache, même quand nous ne la proposions pas afin de nous éviter ses débordements de matière.     

Dès lors il a développé une manière singulière de créer à la fois son support et de mélanger les couleurs.

Il assemble toujours à l’horizontal au moins deux feuilles de matières différentes l’une blanche épaisse et l’autre plus fine en kraft, il me dira alors « en avoir assez des choses lourdes ».

Il recouvre entièrement ce support de couche épaisse de gouache qu’il aura au préalable mélanger. Il dépose une grande quantité de cette matière onctueuse, liquide, fraiche…, de couleur bleu, rouge et jaune… et blanche dans des assiettes faisant office de palette en faisant attention qu’elle ne se touchent pas entre-elle, où recouvrent la première couleur d’une seconde couleur formant un petit monticule de peinture. J’ai l’image de petite crotte ou d’une meringue avant d’être cuite, de la nourriture et des matières fécales, ce qui rentre et sors du corps.

 

Puis seulement il commence par mélanger les couleurs avec des brosses larges ou des rouleaux en mousse. De sa manière de mélanger je n’ai plus d’image précise, encore quelque chose qui échappe.

De manière quasiment systématique la couleur finale obtenue est un rose/marron qu’il étale sur la feuille, se recouvrant au passage les mains. Les deux mains sont au travaillent, il prend plaisir à étaler, sentir entre les doigts, écraser le rouleau à pleine mains.

Tout en parlant de ce qu’il vie à l’école, de l’un de ses frères, … nommant la peinture « le sang/sang de sa mère» (faisant peut-être référence à une opération que sa maman a subi dernièrement)…  parlant également de mort.     

Puis il se lève veut se laver les mains, généralement essaie de négocier un rab de goûter. 

Que peut-il se jouer pour R avec cette masse de peinture /masse de chaire déposée étalée sur ce support fait de deux différents.

La sensorialité de la gouache, la fraicheur et l’humidité qui crée peut-être une limite du corps, du dedans et du dehors ?

Ou lui permettre de faire face à ses angoisses de perdre sa mère, de questionner ses origines et son histoire familiale ?

Quoi qu’il en soit il semble prendre plaisir à ces expériences d’atelier.

 

Ce n’est pas toujours aisé de le laisser faire, la peinture déborde sur la table le sol, ses paroles emplissent l’atelier, il a du mal à investir la totalité du temps de création parfois tellement préoccupé par son goûter.

Il est certain qu’auparavant j’aurai cherché à stopper ces mouvements, maintenant il me semble important/nécessaire qu’il puisse les vivre dans ce cadre contenant de l’atelier.  

 

Finalement, devenir art-thérapeute m’a permis forger ma position en atelier, qui peut parfois quand c’est nécessaire, être une position en creux, d’accueil, d’être présente sans attente et de laisser advenir.

 

Et la richesse de la co-animation, je remercie Isabelle pour sa présence en atelier.


Stéfany Brancaz, Art-thérapeute, plasticienne.

 



Le travail de la terre est associé à un rapport au monde, un contact entre la main de l’homme et la matière. Une fusion entre l’homme et trois des quatre éléments : la terre, l’eau et le feu. Je me suis rendue compte en tant que professeur et céramiste que le travail de la terre pour les participants, lorsqu’ils parviennent au stade de l’atelier, les rééquilibrait, leur apportait un calme intérieur, les resituait dans le monde et permettait une meilleure sociabilité. Dans un atelier, les rapports entre les participants et le professeur sont facilités : la terre fait le lien, la technique est partagée : chacun des participants peut découvrir le travail de l’autre, progresser en commun, la création d’objets individuels valorise la personne et son rapport au groupe. Les ateliers sont ouverts à tous : tous les âges et les niveaux. Le travail de la terre permet cette fusion d’un groupe même si les membres de ce groupe ne sont pas au même niveau. Autre aspect positif : l’imaginaire est développé, sans qu’il y ait de limites : la terre étant malléable, elle fait corps avec le corps du pratiquant, elle s’adapte au mouvement du corps, à sa force, et à sa volonté créatrice. Au cours de l’atelier, toute discussion est bienvenue, un échange entre les uns et les autres, avec la terre comme trait d’union. Travailler en commun la matière, nous replace dans l’essence même du monde. La terre d’où nous sommes nés. Travailler la terre nous ramène inconsciemment aux origines du monde. Si mon travail dans le cadre d’imaRge est effectué en compagnie de personne en difficulté psychique, cet atelier à des personnes bien intégrées, et cette rencontre sécurise tous les participants : un espace d’échange par la créativité. J’aimerai citer un ouvrage que je vous engage à consulter : Gaston Bachelard : La terre et les rêveries de la volonté. Bachelard signale dans ce texte l’importance du travail de la terre, et l’inconscient à l’œuvre au cours de ce travail : une rêverie s’installe chez la personne qui travaille la terre, rêverie qui lui ouvre des portes, lui donne des clefs, lui permettant de réfléchir sur sa condition. Une dimension à la fois technique, thérapeutique, et poétique est alors mise en œuvre dans un espace privilégiée : l’atelier.

Dans notre monde où tout se dématérialise de plus en plus, ces ateliers de création artistique en contact direct avec la terre, permettent aux participants de trouver leur place dans espace naturel et essentiel, concret, à la fois créatif et artisanal. Car la poterie est l’un des artisanats les plus anciens du monde, un artisanat souvent associé à l’art. Un art comme technique, cette technique fondamentale pour tous les artistes, technique qui leur permet de mettre en forme leur imaginaire.

Par ailleurs, l’échec ou la déception sont possibles, lors de la création d’un objet en terre : le résultat n’étant pas ce que l’on avait escompté au départ. Mais cet échec est dynamique : car dans la vie aussi nous apprenons de nos échecs. La fragilité de l’objet le renvoi à une condition matérielle précaire, qui est au fond celle de toute notre vie. Et qui appelle le recommencement, une fois la technique maitrisée.

C’est une philosophie de vie : une vraie rencontre a lieu lors de la pratique de cet art. Une forme de communion, qui nous redonne confiance au monde et en nous même. Pour moi, qui pratique et enseigne depuis plus de quarante ans cette technique, j’estime que ma vie a toujours été porté par elle. J’ai été très heureuse de transmettre ma connaissance.


Agnès de Montrond, céramiste.